Rencontre avec Régine Chopinot

Entretien

Rencontre avec Régine Chopinot

PacifikMeltingPot

PacifikMeltingPot c’est un projet chorégraphique que vous menez depuis plusieurs années déjà :
de quoi parle ce spectacle ?

R.C. : PacifikMeltingPot est une partition rythmique de gestes, chants et de percussions. Au début de mon travail chorégraphique, en 1978, toutes mes pièces avaient un canevas rythmique très structuré. Je l’ai ensuite abandonné pour privilégier d’autres expériences. En 2009, lorsque je me suis rendue pour la première fois dans le Pacifique à la rencontre du groupe du Wetr à Lifou, en Nouvelle-Calédonie, puis des artistes de Nouvelle Zélande, des îles Cook, des Samoa et ensuite de l’équipe nipponne, j’ai réalisé que le fait de se mettre au diapason, sur un même tempo était de nouveau primordial.

"Ces artistes sont tous des artistes polymorphes, ils ont appris à chanter, danser, jouer d’un instrument de musique dès leurs plus jeunes âges."
 

Tous les danseurs de PacifikMeltingPot sont originaires de pays du Pacifique, pouvez-vous nous parler d’eux ?

R.C. : Ce ne sont pas que des danseurs. Ces artistes sont tous des artistes polymorphes, ils ont appris à chanter, danser, jouer d’un instrument de musique dès leurs plus jeunes âges. Ils pratiquent l’horizontalité tandis que, nous, en Occident, privilégions la verticalité. 

Ce sont aussi des artistes qui ont une relation particulière à ce qui est fluide car le Pacifique est le plus grand continent aquatique. Tous ces artistes ont donc une relation constitutive au mouvement car celle-ci est inscrite dans leur histoire géographique. Le besoin de se déplacer relatif à leur insularité est inscrit dans leur manière d’être au quotidien : ils ont le corps et l’esprit nomades. Peut-être devrions-nous, aussi, développer davantage notre capacité d’adaptation, de déplacement permanent dans un monde en grand changement, en profonde mutation ?

Chacun des artistes présents a apporté à PacifikMeltingPot son horizon personnel, à la fois géographique et artistique : et vous, comment avez-vous travaillé avec eux pour atteindre ce tempo commun du spectacle, dont vous parliez ?

R.C. : Depuis les premières étapes en 2011, c’est exclusivement le temps passé à travailler ensemble et sur la durée, qui fabriquent les éléments de PacifikMeltingPot. Dans cette aventure à long terme, il y a effectivement neuf artistes calédoniens, néo-zélandais, japonais, mais il y a Curro Escalante Vargas, jeune percussionniste espagnol et également Nicolas Barillot, l’homme du son, qui travaille à mes côtés depuis plus de dix ans ainsi que Yasuhiro Fujiwara, l’homme des lumières. Sans oublier João Garcia portugais et Jean-Baptiste Warluzel qui sont les deux hommes de l’image, photo, vidéo, présents lors des différents voyages. Il y a autant de Pacifique que d’Europe. Et le mot MeltingPot est aussi important pour déterminer les enjeux de la création.

"PMP est une pièce en perpétuel devenir."

Comment êtes-vous intervenue sur la partie chorégraphique ?

R.C. : PMP danse, chante, joue et parle. PMP est un objet mixte, métissé, ouvert. Beaucoup de différentes moutures ont déjà existé. PMP se construit, se déconstruit, s’oublie et se retrouve. Le tamis du temps est imparable pour trier ce qui doit perdurer et ce qui doit s’évanouir. Nous collectons, trions, organisons. Nous nous souvenons. Nous oublions.  Et nous recommençons. 

PMP est une pièce en perpétuel devenir. 

Pour la tournée française nous allons nous retrouver après un an et demi d’basence. Nous ne nous sommes pas revus depuis la dernière présentation publique au Centre Tjibaou à Nouméa en octobre 2016.  Je dois, de nouveau, intégrer un changement de distribution avec le retour d’un « ancien jeune », Ixepë Sihaze.  

C’est le corps qui permet cela ?

R.C. : Oui, le corps et ce qui l’anime, la poésie, le rythme, l’humour, la parole, l’intelligence. Ce n’est pas que le corps physique. 

Le corps c’est aussi notre capacité à être au présent. Lorsque nous sommes dans cet état de présence, alors, une certaine notion du temps disparaît et la pensée arrive. Elle arrive parce qu’il n’y a pas qu’une seule pensée qui s’exprime. Penser est un acte d’énergie. Je travaille sur ces présences libres, moi en tant qu’un de ces électrons dont le but est d’organiser, de fabriquer une succession de situations, tout en essayant de maintenir l’exigence que quelque chose de la relation puisse advenir.

"Comment se tient-on en communauté pour que chacun puisse apporter au groupe ce qu’il est ?"


Vous parliez de la capacité du groupe à occuper un espace ensemble. PacifikMeltingPot ce serait donc aussi un spectacle qui dit sur scène quelque chose d’important concernant notre capacité ou notre incapacité à vivre ensemble ? 

R.C. : Je crois qu’il s’agit d’abord de créer de la place. De faire qu’à l’intérieur de ce travail d’unisson, il y ait une place pour les individualités, et que tout cela fonctionne ensemble, avec toutes les différences que chacun apporte et que l’on ne soit pas dans des enjeux de rivalité. Ce que je cherche à mettre en scène c’est une énergie partageable... cela ne paraît peut-être pas grand chose, mais c’est beaucoup moins facile qu’il n’y paraît : à un centimètre près, à plusieurs, sur un plateau qui change en fonction des lieux, les relations vont se mettre à exister... ou non. Il y a une prise de conscience qu’à plusieurs, on peut avoir un besoin et un plaisir à partager un même espace dans temps donné. Tout cela se situe avant même la danse, avant même le chant : comment se tient-on en communauté pour que chacun puisse apporter au groupe ce qu’il est ? C’est tout ce qui nous rend plus ample, c’est l’action d’écouter. Plus personne n’écoute aujourd’hui. Aujourd’hui, on veut tout savoir, avoir une idée sur tout, déclarer avant de faire quoi que ce soit. Je travaille sur ces fondamentaux là. Ils sont infinis car ils sont toujours à questionner. Faire de la place à l’autre n’est pas une chose facile. 

Finalement, en tant que chorégraphe, vous parlez finalement peu... de chorégraphie, au sens où on entend habituellement ce terme : les pas, les figures, les gestes, etc.

R.C. : À partir du moment où on a des corps à l’écoute, en acte, dans toute la puissance d’une qualité de la présence, la danse est là. Cela se règle avec beaucoup de temps comme une partition rythmique. 

Ce qui m’intéresse, c’est EUX ! Ce que j’observe, ce que j’écoute c’est leur capactié à se mettre en vibration. C’est l’énergie des artistes de PMP, leurs vies, leurs engagements, leurs regards. Et l’émotion convoquée lorsqu’ils sont dans de tels états d’ouverture. Ces états là sont autant de la danse que ce que j’ai pu faire par le passé. Je suis chorégraphe, mais chorégraphier, c’est peut-être juste réfléchir à comment mettre un pied devant l’autre sans écraser le pied du voisin.